Varia

Gilles Deleuze, extrait de Dialogues (Flammarion, 1977) :

“Je voudrais dire ce que c’est qu’un style. C’est la propriété de ceux dont on dit d’habitude “ils n’ont pas de style”… Ce n’est pas une structure signifiante, ni une organisation réfléchie, ni une inspiration spontanée ni une orchestration, ni une petite musique. C’est un agencement, un agencement d’énonciation.

Alors que le problème est celui d’un devenir-minoritaire: non pas faire semblant, non pas faire ou imiter l’enfant, le fou, la femme, l’animal, le bègue ou l’étranger, mais devenir tout cela, pour inventer de nouvelles forces ou de nouvelles armes”

Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y ait nécessité d’un tel bégaiement. Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage lui-même. Etre comme un étranger dans sa propre langue. Faire une ligne de fuite. [...]

Nous devons être bilingue même en une seule langue, nous devons avoir une langue mineure à l’intérieur de notre langue, nous devons faire de notre propre langue un usage mineur. Le multilinguisme n’est pas seulement la possession de plusieurs systèmes dont chacun serait homogène en lui-même ; c’est d’abord la ligne de fuite ou de variation qui affecte chaque système en l’empêchant d’être homogène. Non pas parler comme un Irlandais ou un Roumain dans une autre langue que la sienne, mais au contraire parler dans sa langue à soi comme un étranger. [...]

C’est la bonne manière de lire : tous les contresens sont bons, à condition toutefois qu’ils ne consistent pas en interprétations, mais qu’ils concernent l’usage du livre, qu’ils en multiplient l’usage, qu’ils fassent encore une langue à l’intérieur de sa langue. Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère…

C’est la définition du style. Là aussi c’est une question de devenir. Les gens pensent toujours à un avenir majoritaire (quand je serai grand, quand j’aurai le pouvoir…).

 

 

 Gilles Deleuze et Félix Guatarri, “Qu’est-ce que la philosophie?” :

“Artaud disait : écrire pour les analphabètes — parler pour les aphasiques, penser pour les acéphales. Mais que signifie “pour”? Ce n’est pas “à l’intention de…”, ni même “à la place de…”. C’est “devant”. C’est une question de devenir. Le penseur n’est pas acéphale, aphasique ou analphabète, mais le devient. Il devient Indien, n’en finit pas de le devenir, peut-être “pour que” l’Indien qui est Indien devienne lui-même autre chose et s’arrache à son agonie. On pense et on écrit pour les animaux même. On devient animal pour que l’animal aussi devienne autre chose. L’agonie d’un rat ou l’exécution d’un veau restent présentes dans la pensée, non par pitié, mais comme la zone d’échange entre l’homme et l’animal, où quelque chose de l’un passe dans l’autre”.

 


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